mardi 11 février 2014

Roue libre

J'ai mon frère au téléphone et il me dit "Cerise est morte". Je ne comprenais pas. Cela fait trente ans que Cerise nous a quittés.
Quand tu as un proche sur le départ, par moment ton cerveau est en roue libre. C'était mon rêve d'y a quelques jours. Au réveil, la roue tourne à une vitesse effrénée. Depuis j'y pense tous les jours et le moindre souvenir me revient, des tendres et des plus difficiles. J'aimerais écrire sur Cerise. Mais je me suis promis d'être peu explicite sur cette partie de ma vie.
Ils avaient tambouriné à la porte. J'étais épuisé par le manque de sommeil et cette première nuit d'amour sur la plage. J'avais fini par ouvrir la porte et j'avais pris la nouvelle comme un coup de poing sur la vie. Je savais pourtant que son temps était compté.
J'aimerai écrire ce que j'ai compris de Cerise. Ses espoirs de jeune fille, quand on a 15 ans à la Libération. Son rêve américain des libérateurs, en décapotable rouge. Ses envies de partir. Le premier grand amour. L'unique peut-être. L'espoir d'évasion, quitter cette montagne déjà exsangue avec tous ceux qui sont déjà loin. Ce n'était pas sérieux pour lui ou elle a voulu aller trop vite. Les avis divergent. Cerise est restée. Elle s'est occupé du père malade et plus tard de la veuve noire. Il faut avoir lu Chabrol pour comprendre ce que sont les veuves noires. Si tu restes trop, tu ne partiras plus jamais.
Elle s'est trouvé un homme pourtant, sur le tard, malgré la veuve. Puis les enfants et la jeunesse à repasser. Elle n'avait pas pensé que ce serait si difficile.
J'aimerai écrire sa joie pourtant, puis les à-coups, les moments d'explosion pour le meilleur et le pire, parfois. Sa tendresse et l'amour qu'elle m'a donné. Le côté décalé, aussi. Ma mère d'été.
J'aimerais oublier les déchirements familiaux, leurs jalousies - moi entre deux - le crabe, la fin, la veuve qui crie quand on ferme la caisse.
J'aurais tant voulu qu'elle soit encore là, et qu'à l'orée de la vie, elles puissent se quitter avec le sourire, pour une fois. Ma mère d'hiver, ma mère d'été.

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