jeudi 7 janvier 2016

Le plus bel homme que j'ai vu cracher

L'homme marchait sous une pluie battante et épaisse. Il devait neiger en montagne. Il marchait le long de la route à contre-sens, grand et droit, enveloppé dans un long manteau. Il portait une casquette qui masquait le haut de son visage. Son pas était vif. Je l'ai observé seulement quelques secondes. A l'instant où j'allais le croiser, il a expulsé un gros crachat vers la droite. J'ai vu fuser l'émulsion informe. La fraction suivante je le voyais de plus près, le visage dur, une barbe courte et grisonnante lui mangeait le visage.
C'est curieux comme un fluide corporel peut être suave dans certaines conditions, par exemple quand ma langue joue avec la tienne, et devenir dégoutant sous une autre forme.
J'ai revu pourtant Frantz me crachant au visage quand nous avions dix ans, la première fois que je découvrais la salive d'un autre. Je me souviens encore de son goût et son odeur, pas désagréables. Je ne saurais décrire plus, c'est juste une trait de mémoire insaisissable.
Puis Maurice m'est apparu, se redressant dans la garrigue, crachant puissamment l'autre fluide qu'il venait de recueillir à ma source. Allongé entre les buis, je l'avais contemplé torse nu dépassant des buissons, subjugué par tant de force et de grâce, dans ce geste qui chez un autre m'aurait écœuré.
Je ne t'ai pas conté encore cet épisode. Je n'ai pas parlé de Maurice depuis l'été dernier. C'est vrai, je n'y pense plus tous les jours. Je guéris peu à peu de ce languissement. Pour te dire, en ce moment je pense souvent à Philippe, que je reverrai le mois prochain.
L'homme n'était plus dans mon champ de vue.
Je poursuivais ma route.
Je n'ai jamais su cracher.



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