mardi 7 juin 2016

Cette fois-ci j’ai pris le train

Mes voyages sont souvent pleins de surprises et de rebondissements. Quand je ne cherche pas l’aventure, il s’offre à moi de lui-même. Je sais qu’on va ricaner de ce masculin, mais je ne vois pas qu’on puisse refuser à l’aventure ce qu’on autorise à l’amour pluriel.

J’étais attendu à Paris pour des réunions importantes et l’enjeu était trop fort pour je puisse reculer devant un mouvement de grève, d’autant que je n’étais pas convaincu du bien fondé de la persistance de l’opposition à la loi dite « travail » à ce stade du texte. Je ne développerai pas mes arguments, ce n’est pas le propos, il fallait simplement que je dise pourquoi je bravais les circonstances alors qu’en d’autres temps j’aurais pu avoir quelque solidarité pour les camarades syndiqués. Seul Paris sous l’eau m’aurait fait reculer. D’aucuns me trouveront bravache.

Les cheminots empêchaient le départ du train de ma gare TGV habituelle. Qu’à cela ne tienne, j’allais rejoindre un nœud ferroviaire à plus d’une heure trente de route grâce à de sympathiques covoitureurs. J’arrivais assez tard et je me connectais pour voir s’il restait quelque chose à grignoter en ville. Las, le contact fugace que j’avais déjà eu ici, sans me douter que j’aurais une telle occasion, était en sommeil. Je recevais alors un message que je n’attendais plus d’un ami parisien, augure d’une rencontre sympathique dans des conditions relativement inattendues. Il est trop tôt pour en dire plus, si tant est que j’en dise quelque chose plus tard.

L’hôtel était un de ces petits gites de province propre mais sommaire, et surtout pas très cher. Une affiche de Joan Miro ornait le mur de la chambre, ce qui dénotait un goût certain d’agrémenter des lieux sans autre charme. La gare était à deux pas, j’étais paré pour un départ matinal. Quand j’allais déjeuner (petit-déjeuner pour les ceux du septentrion), je butais en bas de l’escalier sur un très beau gosse. Rencontre éphémère du type de garçon que j’affectionne. Un jeune homme très brun, aux cheveux mi-longs ondulés, grand et mince à la peau mate. Il était vêtu d’un tee-shirt et d’un bermuda sombres, ce dernier laissant apparaître des jambes musclées couvertes de poils noirs. J’imaginais sans peine son torse dessiné et herbacé. Il portait une barbe courte mais sans trop, d’une longueur qui confirme que les poils sont des soies. Ces quelques fractions de seconde m’ont donné à penser que nous avions peut-être dormi tête contre tête séparés seulement par une fine cloison. Dans la salle de petit-déjeuner je compris qu’il s’agissait d’un hôtel fréquenté par des ouvriers qui travaillaient dans les chantiers de la ville.

Dès l’arrivée à la gare, on comprenait qu’il s’agissait d’une journée particulière. Les voyageurs étaient très en avance. Le hall était rempli et nombre d’entre eux attendaient dehors. L’inquiétude était peinte sur de nombreux visages. Le train de Paris était inscrit au tableau mais n’était toujours pas annoncé.
Il y avait une belle place devant l’hôtel des trains. Un de ces lieux la plupart du temps inutiles que nous livrent les urbanistes ivres d’espace. A quoi sert une place si elle ne vit pas ? Je doute qu’on organise ici quelque marché ou d’autre manifestation. Juste un quadrille de panneaux présentait les résultats du concours photo de la cité. L’architecte et le maire auront eu leur champ de vue soigneusement bétonné mais ici il n’y aura jamais d’herbe folle ou de funambules. Aujourd’hui cependant, la foule débordait pour l’attente du TGV.
Enfin l’annonce rassura tout le monde, nous pouvions rejoindre le quai numéro 2 qui fait face au quai numéro 4, le numéro 1 étant couplé avec le 3. Le monde ferroviaire n’a pas la même hiérarchie des normes que le sens commun.

Je partais moi aussi à l’assaut du compartiment où je devais trouver ma place. Nous nous retrouvâmes deux en compétition pour le même siège. Ce sont des choses qui arrivent, tentais-je d’expliquer. Je montrais avec assurance mon billet électronique à ma compétitrice. Elle me souligna gentiment que je m’étais trompé de train. Effectivement, j’avais regardé le billet du retour…

Je partais à la remonte des rames sous l’œil amusé des autres voyageurs, je croisais quelques regards charmés de vieilles dames, toujours les mêmes qui me sourient depuis ma tendre enfance – je me demandais si elles me souriront toujours quand j’aurais leur âge – j’aurais préféré que ce soit ce jeune homme blond en brosse qui me regarde mais il était scotché sur son ordinateur. L’homme qui remontait devant moi me faisait part d’une expérience similaire sur un ton assez dragueur. Je continuais la remonte en regardant les visages, j’étais impressionné par la rigidité du regard des vieux associé à un néo-strabisme divergent, j’en frissonnais – mais vieillir, oh vieillir ! - Je n’avais pas pensé que ma place étant dans le deuxième TGV accouplé, j’allais buter dans le carré extrême. L’heure du départ était dépassée, le contrôleur interpellé sur le quai jugeait que j’avais le temps de changer de rame si je courais. Ma fable s’apparentait à celle du lièvre et de la tortue. Je couru donc. Le deuxième train était quasiment vide, pour cause il avait été assemblé ici, la remonte fut plus aisée. Mon regard n’avait plus l’occasion d’être détourné, je ne jouais plus des coudes. Enfin installé, je commençais à écrire ce billet sous l’œil d’un vieux garçon d’âge moyen qui voyageait avec sa maman. Il fut gêné de croiser mon regard, je ne l’empêchais pas de m’observer mais les convenances le contraignirent à le faire plus discrètement ensuite.

A l’arrêt suivant, mes compagnons de route s’installèrent, en L1C1 un sexagénaire bien mis pianotant avec dextérité sur son Iphone, à deux mains – un professeur de sciences politiques chargé de copies et des revues Essais et le Débat - en L2C2 un quadra négligé à son ordinateur – de lui je ne saurai pas grand-chose, sauf qu’il aimait les polos épais à motif de drapeau scottish, d’azur à la croix de saint André d’argent et un lion de gueules. Un quinqua épais vint combler plus tard la cellule vide, lui jonglait avec une tablette et un smartphone – j’aurais dit un chef de petite ou moyenne entreprise à passé de rugbyman, je ne doutais pas que la rencontre de ses pieds était due à autre chose qu’à sa carrure et à la promiscuité. La campagne du grand Ouest défilait à mon côté gauche. Les coquelicots étaient revenus et dessinaient par moment des lignes rouges comme les stops des voitures sur une pose B nocturne.

Pourquoi avais-je tant attendu avant de reprendre le train ?



7 commentaires:

  1. Peut-être l'as-tu remarqué, elle a vachement plu à Paris. Je peste: j'ai parcouru la capitale en veston léger sans parapluie et j'ai raté un rendez-vous qui promettait la lune. Elle a trop plu,et elle exagère.

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    1. J'aime bien quand tu te lâches sur des trucs comme ça, même si ça n'a pas la même portée qu'avec l'aventure 😉

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  2. Joli billet plein d' allégresse .

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  3. "la rencontre de ses pieds était due à autre chose qu’à sa carrure et à la promiscuité": je ne sais saisir cette phrase...et alors, l'allégresse dure? suis impatient de lire tout ça!!

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    1. Il te manque le début de la phrase. Je voulais dire qu'il ne faisait pas exprès de me faire du pied mais je le suis pris les pieds dans le tapis...
      ""je ne doutais pas que la rencontre de ses pieds soit due à sa carrure et à la promiscuité", c'est mieux non ?

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    2. Le retour est pour bientôt...

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