dimanche 14 janvier 2018

Douces mélancolies

La saison des chrysanthèmes était revenue et je perpétuais la tradition. J'étais allé de cimetière en cimetière selon un circuit d'hommage que je voulais immuable. On se demandera pourquoi et pour qui. Je ne crois plus en Dieu depuis qu'on m’infligea le catéchisme et la communion privée. Le correcteur orthographique m'a sauvé d'orthographier "catéschisme", je pensais sans doute plus à la scission que ce fut. La veuve noire ne comprenait pas qu'un enfant puisse choisir. Pourtant je me séparai de Dieu et du catholicisme et il fallu bien l'accepter, refusant désormais tout sacrement et même d'aller à la messe. Je rejoignais sans le savoir alors une longue tradition d'hommes libres-penseurs héritiers d'une foi protestante pour laquelle il avait fallu autrefois abjurer ou partir. Seules les femmes s'étaient converties à la messe et portaient la respectabilité religieuse de la famille, sans que cela soit une foi aveugle, mais il fallait en être, on avait sans doute trop souffert par le passé.
J'avais terminé mon rituel alternant les visites aux morts et celles aux vivants. J'avais terminé avec le plus bel endroit, celui d'où l'on domine une terre immense avec une vue complète sur l'histoire de l'humanité, ou du moins depuis ces temps immémoriaux où l'Homme (dois-je dire et la Femme ?) s'installèrent dans la contrée. Je voyais aussi bien les traces de la plus haute antiquité, que celles des temps qui suivirent des forts du Moyen-Age aux ruines de la Révolution industrielle et à la marque de l’ère du tourisme et de l'incongruité architecturale. Je dois dire qu'à chaque fois, j'en ai un peu le souffle coupé par un vent de nostalgie.
Il fallait que je fasse une césure. Je suis allé me ressourcer au bord de la rivière en un lieu magique qui scella en son temps comme une arche d'alliance entre l'Homme et la Nature. Malgré les reconstitutions de paysage que nous proposent les paléo-écologues, on peut toujours se demander quels paysages connurent réellement nos ancêtres dits pré-historiques, mais il est des lieux où il n'y a pas à tergiverser. Rien ou très peu de choses n'ont changé, et l'on ne peut s'empêcher de penser à ce que fut leur regard.
Je restai là jusqu'à la tombée du jour, qui fut rougeoyante. Je montai au plus haut voir le soleil se coucher dans l'infini.
Plus tard, je rejoignis Philippe à deux pas de là. Il était fatigué d'une crève qu'il trainait depuis quelques jours. Nous mangeâmes dans le salon, charcuteries, fromages et vin rouge, sans cesser de parler - nous ne nous étions vu depuis des mois - côte à côte, dans un instant câlin et un brin mélancolique qui se prolongea au lit. On pourrait dire que nous ne fîmes pas l'amour tant nos caresses et nos étreintes furent délicates et limitées. J'en pense tout le contraire.
Je rentrai tard rasséréné.




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